Comment est-il possible qu'un pratiquant sérieux, qui suit à la lettre un programme testé et approuvé, n'atteigne pas les objectifs que le programme devrait offrir ?
Tout est bien pensé, le programme est éprouvé, a été appliqué avec succès par des dizaines, voire de centaines ou des milliers d'autres individus auparavant !
Faut-il abandonner et partir sur un autre programme ?
Le programme - en théorie
A quoi ressemble la conversation entre un entraîneur et un nouvel élève, au moment de démarrer un programme d'entraînement ?
En principe, lorsqu'un novice demande un programme, l'entraîneur lui demande quels sont ses objectifs, à quoi il a facilement accès, quelles sont ses contraintes et divers détails logistiques. En tout cas, c'est ce que je fais !
Cela peut donner : "Je veux perdre mes kilos en trop, ma bouée autour de la taille. Je n'ai pas accès facilement à un gymnase, mais je peux acheter du petit matériel pour la maison si besoin. J'ai un travail qui me demande beaucoup de temps et d'énergie, en tant que directeur de production, et je veux passer du temps en famille le weekend. Je peux m'entraîner 30 à 45 minutes du lundi au vendredi, mais pas le weekend, et pas forcément tous les jours."
Un programme adapté et éprouvé
Finalement, il reçoit un programme à suivre. Cela peut être avec des kettlebells, barres olympiques, poids de corps, un mélange de tout cela ou un outil complètement différent. Tant que les principes d'entraînement sont respectés, les modalités n'ont pas vraiment d'importance.
La seule chose qui compte vraiment, c'est que le programme corresponde aux objectifs et aux possibilités logistiques de l'élève, et qu'il s'agit d'un programme efficace, testé et approuvé.
Des programmes qui fonctionnent, ce n'est pas ce qui manque ! Pas besoin de jouer les génies et de tout réinventer.
Que le programme soit déjà très précis, avec des charges, des séries, des répétitions et des jours d'entraînement bien définis, ou qu'il soit un canevas à suivre (façon Plan Strong, de Pavel), le bon programme est un programme qui a fait ses preuves auparavant. Et pas qu'une seule fois...
Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas innover, continuer à polir et améliorer. Mais il n'est pas nécessaire de tout ré-inventer de zéro.
En suivant cette approche, un élève normal est assuré de progresser. L'élève normal, c'est celui qui a une famille, un travail, des loisirs, en bref une vie à coté de l'entrainement. Ce n'est pas un athlète de haut niveau dont les revenus dépendent de sa performance. Être ultra-créatif pour un athlète dont la performance est le gagne-pain, c'est bien. Pour monsieur et madame tout-le-monde, ce n'est pas une très bonne idée.
Nous appliquons donc un des nombreux programmes qui ont prouvés qu'ils délivraient, tant que l'élève est persistent et appliqué.
Les résultats en pratique
Comment est-il possible, alors, que ces programmes ne tiennent pas toujours leurs promesses?
La situation est parfaite sur le papier. L'élève suit systématiquement le programme, sans forcer ni se retenir. Juste le programme, à la lettre.
Evidemment, la récupération est partie intégrante d'un programme.
L'élève fait attention à ce qu'il mange, mais aussi à la qualité de son sommeil. Il fait ce qu'il faut pour bien récupérer entre les sessions.
Tout est en place pour qu'il au cycle de stress / récupération.
Le programme fonctionne et l'a prouvé maintes fois, l'élève fait tout ce qu'il fait, son coach surveille et corrige... et pourtant, ça ne fonctionne pas !
Peut-être qu'en fait, le cycle stress / récupération n'est pas aussi optimal que prévu...
Le verre de stress
C'est ici qu'intervient le concept du verre de stress, présenté notamment par le Docteur Chris Hardy dans son livre Strong medicine, co-écrit avec Marty Gallagher (Strong Medicine, How to Conquer Chronic Disease and Achieve Your Full Genetic Potential by Dr. Chris Hardy).
Dr. Hardy représente la capacité de gestion du stress avec un verre.
Le stress est représenté par le liquide qui remplit le verre.
L'idée de l'entraînement est de remplir le verre au maximum, sur une période d'entraînement, sans déborder. Après l'entraînement, le verre va se vider, petit à petit. C'est la récupération. Quand le verre est vide, c'est que nous avons récupéré et nous sommes prêt à subir de nouveau le même stress.
La sur-compensation
Notre corps est ingénieux. Il va toujours aller à l'économie : c'est pour ça que nous n'avons pas tous, d'un seul coup, des capacités sur-humaines. Ce serait un énorme gaspillage énergétique. Mais il s'adapte. Lorsque le verre a été rempli pratiquement à ras-bord, le corps va récupérer (le verre se vide), mais il va aussi s'assurer que la prochaine fois, un tel niveau de stress ne sera pas aussi critique. Il va sur-compenser.
La taille du verre va légèrement augmenter. C'est cela, la sur-compensation. Nous récupérons, et nous sommes capable de tolérer un niveau de stress légèrement plus grand.
Par exemple, un élève presque débutant a pu, lundi dernier, squatter 40kg pour 3 séries de 5 répétitions. Si nous répétons la même session deux jours plus tard, le verre sera vide et légèrement plus grand : les 3 séries de 5 répétitions seraient plus faciles, moins stressantes. Ou bien, pour le même effort, notre élève pourra squatter 3 séries de 5 répétitions à 45kg.
Ce qui se passe, c'est que le verre a grandi entre lundi et mercredi. Une même charge va remplir le verre avec la même quantité d'eau. Le verre étant plus grand, il est beaucoup plus loin du débordement. L'effort et moindre. Mais pour progresser, le mieux est de garder le même effort, c'est à dire de s'approcher autant que possible du bord du verre. Celui-ci étant plus grand, il faut le remplir plus, donc augmenter la charge.
Les modèles à plusieurs variables
Dans son ouvrage Practical programming for Strength training, Mark Ripettoe présente les différents modèles stress/récupération.
Le modèle de base correspond bien à un novice, comme celui de mon exemple précédent.
Chez celui-ci, le verre est initialement très petit. Il se remplit très vite (d'où des charges relativement basses). Mais il se vide aussi très vide, et grandit à chaque session. C'est pour cela que, pour un novice, une progression linéaire fonctionne très bien : il est possible de rajouter de la charge à chaque session, trois fois par semaine, pendant 3 à 6 mois. C'est possible parce que l'élève a complètement récupéré lorsque commence la session suivante.
Lorsqu'on a un peu plus d'ancienneté, cela devient moins simple. Le verre ne se vide pas aussi vite, et il ne grandit pas non plus systématiquement à chaque fois. Il est impossible de récupérer entièrement d'une session dure à la suivante. Mais si on attend trop longtemps, la récupération est totale, mais le verre ne grandit pas. On perd le phénomène de sur-compensation qui nous permet de progresser.
C'est là où l'entraînement se complexifie un peu. On parle en général de pratiquant intermédiaire. Toutes les sessions ne peuvent pas être dur. Il faut remplir le verre, mais pas complètement à chaque fois, car il n'est pas forcément complètement vidé quand on redémarre une session. Bill Starr a popularisé un modèle simple : le lourd/moyen/léger, où chacune des trois sessions de la semaine avaient une intensité et / ou un volume différent. La plupart des approches efficaces suivent ce principe de variabilité de volume et d'intensité, vers le haut et vers le bas, au cours de plusieurs sessions.
C'est pour cela que tant de programmes sont efficaces : ils ont été peaufinés avec l'expérience, pour jouer au mieux avec le niveau de stress nécessaire, au bon moment, combiné à une récupération optimale.
Le stress...
Mais alors, pourquoi est-ce que ces programmes, même suivis à la lettre par des élèves appliqués, ne fonctionnent parfois pas ?
Parce que, trop souvent, on a tendance à ignorer la vraie vie de nos élèves !
C'est une chose d'être un athlète de haut niveau, avec une équipe derrière soi, un nutritionniste, un masseur, un préparateur physique, un médecin, un kiné, etc...
...et c'est autre chose d'être un père ou une mère de famille, à devoir aussi gérer la famille, le boulot, les différentes responsabilités.
Le stress, ce n'est pas que l'exercice lors de la session d'entraînement.
Toute source de stress remplit ton verre un petit peu, que ce soit la présentation que tu dois terminer pour la réunion de demain, ou les 5 séries de 5 squats que tu viens d'achever.
Or, la programmation ne prend souvent en compte que le stress de l'entraînement.
Qu'en est-il des autres sources de stress de la vie de l'élève ?
Est-ce qu'il travaille en équipe de nuit ? A-t-il un problème personnel, ou un horaire chargé au travail avec une échéance importante qui s'approche? Est-ce qu'il déménage dans une nouvelle ville ? Le stress n'est pas seulement induit par l'entraînement.
Toutes les sources de stress s'additionnent et remplissent le verre.
Nous pouvons ainsi, en voulant nous rapprocher du bord de verre (ce qui est le but de l'entraînement, pour forcer le verre à grandir), le faire déborder, car il était déjà rempli avec tout un tas de stress autre que celui de l'entraînement.
On aboutit ainsi au sur-entraînement : ce n'est pas que nous ne récupérons pas bien, mais que nous avons ignoré les autres sources de stress.
Et le programme, pourtant éprouvé maintes fois, ne fonctionne pas...
Pourquoi ton entraîneur et toi devez tenir compte du verre de stress
Je présente le concept du verre de stress à tous mes élèves.
Quand nous commençons une séance, je leur pose la questions sur leur verre de stress : comment est-il aujourd'hui ? Parfois, si le verre est déjà bien rempli, nous adaptons le programme pour une session ou deux.
Il y a un programme qui a été décidé longtemps en amont. Dans un monde idéal, nous suivons ce programme à la lettre. Mais nous avons tous une vie à coté de l'entraînement. Même avec 4 ou 5 heures d'entraînement par semaine, ce qui représente déjà beaucoup, il reste 160 heures dans la semaine. C'est beaucoup d'occasion de rajouter du stress...
Tiens compte du remplissage du verre de stress. Tu sauras ainsi quand parler avec ton coach et modifier légèrement le programme. Et le programme délivrera ses promesses pour toi aussi !